Commerçants de Téhéran contre la vie chère, ralliement des étudiants… On vous explique les manifestations qui secouent l'Iran
SOURCE:France Info
Depuis dimanche, le pays vit au rythme de plusieurs manifestations contre l'hyperinflation mais qui restent, pour l'heure, contenues. Le pouvoir politique tente de répondre à la grogne, conscient qu'une étincelle peut provoquer l'embrasement.
Depuis dimanche, le pays vit au rythme de plusieurs manifestations contre l'hyperinflation mais qui restent, pour l'heure, contenues. Le pouvoir politique tente de répondre à la grogne, conscient qu'une étincelle peut provoquer l'embrasement.
France Télévisions
Publié le 31/12/2025 11:17 Mis à jour le 31/12/2025 15:00
Temps de lecture : 8min
Des manifestants protestent contre la vie chère en Iran, à Téhéran, le 29 décembre 2025. (FARS NEWS AGENCY / AFP)
Jusqu'où iront les manifestations en Iran ? Depuis le dimanche 28 décembre, un mouvement social, initié par les commerçants de Téhéran pour protester contre la vie chère, est en cours. S'il reste, pour l'heure, circonscrit à la capitale, les étudiants de plusieurs universités du pays ont rejoint mardi la protestation. Les revendications sont essentiellement économiques, mais parfois accompagnées de slogans politiques. L'Iran souffre en effet depuis des années d'une hyperinflation chronique. L'économie iranienne, déjà fragilisée par des décennies de sanctions occidentales, pâtit également du rétablissement fin septembre par l'ONU des sanctions internationales levées en 2015, liées au programme nucléaire du pays.
Ce mouvement de grogne contre la vie chère est à ce stade sans commune mesure avec les grandes manifestations qui avaient secoué la République islamique fin 2022, après la mort en détention de Mahsa Amini, une jeune Iranienne. Mercredi 31 décembre, écoles, banques et établissements publics seront fermés à Téhéran et dans la quasi-totalité du pays sur décision des autorités, en raison du froid et pour économiser l'énergie, ont annoncé la veille les médias d'Etat, sans faire de lien avec les manifestations.
Le pouvoir politique est pourtant aux aguets. En 2019, des manifestations avaient éclaté en Iran après l'annonce d'une forte hausse du prix de l'essence. La contestation avait alors touché une centaine de villes, et fait des dizaines de morts. Franceinfo vous explique ces nouvelles manifestations qui secouent le pays.
Un mouvement enclenché dimanche par les commerçants de Téhéran
Des manifestations spontanées ont débuté dimanche dans le plus grand marché pour téléphones portables de la capitale iranienne, avant de gagner en ampleur et de se poursuivre lundi. Les protestataires "réclament une intervention immédiate du gouvernement pour enrayer les fluctuations du taux de change et définir une stratégie économique claire", rapporte Ilna, un média proche des milieux ouvriers. Cette situation paralyse les ventes de certains biens importés, vendeurs comme acheteurs préférant reporter toute transaction en attendant d'y voir plus clair.
Ces manifestations sont toutefois restées limitées en nombre et au centre de Téhéran, qui compte de nombreux commerces. Ailleurs dans le pays, l'immense majorité des boutiques ont poursuivi leur activité, selon des constatations de l'AFP.
Des commerçants iraniens protestent contre la vie chère à Téhéran, le 29 décembre 2025. (FARS NEWS AGENCY / MAXPPP)
Dans le viseur donc des manifestants : l'inflation. En décembre, les prix ont augmenté en moyenne de 52% sur un an, selon le Centre de statistiques d'Iran, un organisme officiel. Le rial a atteint dimanche un plus bas historique face au dollar, selon le taux informel au marché noir, à plus de 1,4 million de rials pour un dollar (contre 820 000 un an plus tôt) et 1,7 million pour un euro (contre 855 000). La monnaie iranienne s'est légèrement renforcée en début de semaine. Cette dépréciation chronique entraîne hyperinflation et forte volatilité en Iran, où certains prix augmentent fortement du jour au lendemain. "Aucun responsable [politique] ne nous a soutenus ou n'a cherché à savoir comment le cours du dollar affectait nos vies", déplorait un manifestant cité mardi par le journal Etemad. "Il a fallu manifester notre mécontentement", a ajouté ce vendeur, qui témoigne anonymement.
Des slogans politiques ont aussi été entendus lors de ces manifestations, rapporte Le Figaro. "Mort au dictateur !", "N'ayez pas peur. Nous sommes tous ensemble", "Ni Gaza, ni Liban, je me sacrifierai pour l'Iran" : les vidéos partagées sur les réseaux sociaux "se font l'écho d'un ras-le-bol de la population contre la violence et l'irresponsabilité de la République islamique", accusée de soutenir ses alliés régionaux au détriment de sa population, note le quotidien.
Par ailleurs, un bâtiment gouvernemental a été ciblé par une "attaque" à Fassa, dans le sud du pays. "La porte d'entrée (...) du bâtiment du gouverneur provincial a été endommagée lors d'une attaque perpétrée par plusieurs individus", a déclaré le chef du pouvoir judiciaire de la ville, Hamed Ostovar, sans préciser les circonstances ni mentionner les manifestations.
Des étudiants se joignent aux manifestations
Au troisième jour de ce mouvement spontané, des manifestations étudiantes ont éclaté dans au moins 10 universités à travers le pays. Sept sont situées à Téhéran et comptent parmi les plus prestigieuses du pays. D'autres établissements sont concernés à Isfahan, Yazd et Zanjan, ont rapporté les agences Ilna et Irna, un média d'Etat. Des forces de l'ordre et la police antiémeute ont été déployées aux principaux carrefours de Téhéran et aux abords de certaines universités, selon l'AFP.
Sur X, l'activiste et journaliste américaine d'origine iranienne Masih Alinejad a publié une vidéo transmise par une jeune fille où l'on voit les manifestants battre le pavé. "J'étais terrifiée de filmer. S'il te plaît, partage ces images et montre au monde que le peuple iranien ne veut pas de ce régime", peut-on lire dans le texte.
A teenager from Iran sent me these videos with this message:
“I was terrified while filming them. Please share them and show the world that we, the people of Iran, do not want this regime.”
The protests in Iran began in Tehran and are now spreading to cities across the country.… pic.twitter.com/4xu2S5vh86
Des slogans hostiles au régime ont été entendus, lors de ces manifestations étudiantes, selon Le Figaro. "Liberté, liberté, liberté !" et "Je jure sur le sang des camarades que nous resterons debout jusqu'à la fin !", ont scandé les protestataires.
Entre compréhension et fermeté, le pouvoir tente d'adapter ses réponses
Le président iranien Massoud Pezeshkian a appelé mardi à écouter "les revendications légitimes" des manifestants. "J'ai demandé au ministre de l'Intérieur d'écouter les revendications légitimes des manifestants en dialoguant avec leurs représentants afin que le gouvernement puisse agir de toutes ses forces pour résoudre les problèmes et agir de manière responsable", a déclaré le dirigeant sur le réseau social X. Il a lui-même rencontré des responsables syndicaux et proposé plusieurs mesures fiscales, censées aider les entreprises, pour une durée d'un an, d'après l'agence de presse Mehr.
Le président du Parlement, Mohammad Bagher Ghalibaf, a lui exhorté députés et responsables politiques à prendre les "mesures nécessaires afin d'accroître le pouvoir d'achat de la population", selon des images diffusées à la télévision.
Quelques mesures ont ainsi été prises ou annoncées. Le chef du pouvoir judiciaire, Gholamhossein Mohseni Ejeï, a ordonné "de sanctionner au plus vite les auteurs à l'origine des fluctuations des devises", a rapporté lundi l'agence de la Justice. Le gouvernement a de son côté décidé le remplacement du gouverneur de la Banque centrale. Dimanche, le président iranien a affiché sa détermination à combattre l'inflation et la vie chère, lors d'une présentation au Parlement du budget pour 2026. Le texte prévoit notamment une augmentation de 20% des salaires, un taux qui reste toutefois bien en deçà de celui de l'inflation.
Mais le régime des mollahs met en garde contre toute politisation du mouvement. "Toute tentative visant à transformer les manifestations économiques en un outil d'insécurité, de destruction des biens publics ou de mise en œuvre de scénarios conçus à l'étranger sera inévitablement suivie d'une réponse légale, proportionnée et ferme", a prévenu mercredi le procureur général de la République islamique.