D'où vient l'expression "la trêve des confiseurs" ?
L'actualité remise en perspective chaque samedi, grâce à l'historien Fabrice d'Almeida.
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Radio France
Publié le 27/12/2025 17:30
Temps de lecture : 4min
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L'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 16 décembre 2025. (DIMITAR DILKOFF / AFP)
L'Assemblée nationale a suspendu ses travaux cette semaine, jusqu'au début de janvier. On appelle cela "la trêve des confiseurs". Cette expression ne vient pas du Moyen-Âge et de la paix de Dieu. Ce n'est pas le produit d'un mythe religieux. C'est une véritable expression historique, très éclairante sur la situation actuelle de notre vie publique.
Pour la comprendre, il faut revenir à la fin du XIXᵉ siècle, en 1874. À cette époque, la France a traversé deux événements terribles : la défaite face à l'Allemagne, avec son lot de morts. Mais à peine la paix signée, il y eut la Commune, véritable guerre civile entre les Parisiens et le gouvernement conservateur installé à Versailles sous la direction d'Adolphe Thiers. Si bien qu'à l'Assemblée, il y avait une majorité favorable au retour de la monarchie. Elle comprenait des royalistes légitimistes, favorables au dernier des Bourbons, le comte de Chambord, et des partisans du duc d'Orléans, comme Thiers, conservateurs en politique mais libéraux en économie. S'étaient également ralliés à eux des bonapartistes, effrayés par la gauche. Nos fameuses trois droites.
Or, à la veille de Noël 1874, la gauche, c'est-à-dire les républicains, n'avait cessé de gagner des voix lors des élections partielles. Les monarchistes étaient donc moins solides numériquement. Après trois ans de gouvernement provisoire, les députés débattaient d'institutions plus durables. Il fallait mettre en place des règles, voire un semblant de Constitution, capables de ménager l'avenir.
Les débats étaient tendus et la population les suivait, comme de nos jours. Pourtant, les parlementaires se mirent d'accord sur une idée simple : suspendre les débats durant la période des fêtes de Noël et du jour de l'An. On se retrouverait pour les vœux. Cela éviterait que les tensions politiques ne nuisent au commerce. En réalité, chacun des camps espérait remobiliser ses troupes en prévision des débats tendus à venir.
La presse de l'époque, pour décrire cette interruption inédite et prolongée au nom de la bonne tenue du commerce, utilisa l'expression "trêve des confiseurs", dont l'auteur précis n'est pas connu. Elle donne l'idée que le but de tout cela était de satisfaire les pâtissiers et autres rois du sucre. Cela piqua au vif les monarchistes, emmenés par le duc de Broglie, qui virent dans ce terme une critique du gouvernement d'ordre moral dont il avait été le principal initiateur et que le gouvernement en place continuait de défendre.
En réalité, à Paris, il y avait déjà à cette époque un afflux de touristes pour les fêtes et des baraques foraines où l'on pouvait acheter des bonbons. L'expression suggérait aussi que les députés allaient se donner du bon temps. N'empêche, le combat repart de plus belle en janvier. L'affrontement culmine lors du vote de l'amendement Wallon, adopté le 30 janvier 1875 par une voix de majorité : "Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible." Cette phrase fait entrer la France dans la IIIᵉ République.
Espérons que la trêve actuelle des confiseurs ne fasse pas seulement grossir nos parlementaires, mais qu'elle leur donne des idées pour sortir du marasme institutionnel et budgétaire dans lequel nous sommes, comme leurs prédécesseurs y sont parvenus...