« On leur vole leur enfance »… Ces routines beauté des fillettes qui inquiètent les psychologues
Etre obnubilé par son apparence, notamment sa peau, à un très jeune âge n’est pas sans conséquence sur la santé mentale
«D’abord, mon rétinol ! Vous avez vu ces rides ? » La phrase est prononcée par une enfant d’à peine 10 ans. Dans cette vidéo postée sur TikTok, la petite fille s’applique une crème antirides sur le visage. Oui, vous avez bien lu, une crème antirides à 10 ans. Car sur les réseaux sociaux, de plus en plus de fillettes partagent leur « skincare routine » à base de sérum repulpant, huile apaisante et gel anticernes. Des vidéos souvent filmées par les parents et payées par des marques de cosmétiques pour enfant.
Venu des Etats-Unis, ce phénomène des « Sephora kids », des jeunes adolescentes obnubilées par leur apparence et leur peau, inquiète. Au-delà des problèmes dermatologiques, de la question du travail des enfants et des risques d’exploitation de ces images par des pédocriminels, le fait de s’intéresser à son physique à un si jeune âge n’est pas sans conséquence sur la santé mentale de ces adolescents en devenir.
Une « adultification »
« Vouloir ressembler à sa maman et lui emprunter sa robe ou son rouge à lèvres est naturel pour un enfant, c’est vieux comme le monde », prévient d’abord Virginie Piccardi, psychologue et psychothérapeute et cosecrétaire de la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP). « Si cela peut créer un moment de partage rigolo, il doit relever de l’exception, car l’enfant doit rester à sa place d’enfant. »
Dans certaines vidéos publiées sur TikTok et Instagram, mère et fille, habillées de la même manière, effectuent la même « skincare ». Michaël Stora, psychologue psychanalyste, y voit un risque d'« adultification » « Le fait qu’une mère fasse de sa fille une sorte de mini-elle est problématique. L’enfant ne va pas avoir l’espace nécessaire pour développer son propre soi. Et cela peut créer chez elle, plus tard, des fragilités. »
Quête de la perfection « toujours plus extrême »
Mais ce n’est pas le seul risque. « Avec cette quête de perfection toujours plus extrême, les petites filles se soumettent à l’injonction selon laquelle la femme doit avoir une image parfaite », souligne Anne Fabre, infirmière puéricultrice. Selon elle, cette attention excessive portée sur l’apparence peut donner lieu à de la dysmorphobie, une préoccupation disproportionnée pour un « défaut » de son apparence physique.
Le rapport à son propre corps peut donc devenir baisé. « Si l’enfant est fétichisé, il risque de fétichiser son corps et d’en faire un trophée plutôt qu’une chose habitée », estime Michaël Stora. « Etre réduit à son apparence peut créer un sentiment de vide, confirme Sabine Duflo, psychologue clinicienne. Le but de l’éducation est justement de construire quelque chose de solide à l’intérieur, pas qu’une enveloppe. »